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La légende des Pranors


la Planche de Pierre

En dehors d'interminables parties de cache-cache avec les enfants du voisinage, j'aimais bien accompagner mémé aux champs , parce qu'elle me racontait souvent des histoires ou le diable et les fées avaient toujours une grande place.Ce soir, nous avions amené les vaches dans un pâturage nommé les praines , a coté du ruisseau du "joux". Ce dernier entrait dans un défilé étroit juste après un petit pont appelé la planche de pierre. Ce pont était constitué par une grande dalle de pierre posée entre deux rochers par-dessus le ruisseau. A coté, le chemin empruntait un passage à gai pour relier la plaine du forez par "Cassard" au col des limites. Ce chemin à partir du ruisseau jusqu'au col matérialisait la limite des départements de la Loire et du Puy de Dôme et traversait à une centaine de mètres plus haut, les vestiges d'un hameau qui s'appelait les "Pranors" .
-Tu ne connais pas la légende de ce hameau ? me dit mémé, je vais te la raconter. C'était il y a bien longtemps, se trouvait là, perdu au milieu des bois, quatre maisons serrées les unes contre les autres. Un soir brumeux d'automne, à l'heure où tout le monde se préparait à passer à table, les chiens se mirent à donner de la voie tous ensemble ce qui inquiéta les habitants.Il faut savoir qu'a cette époque, les chemins n'étaient pas sûr et de nombreuses personnes avaient perdu la vie pour s'y être aventurées, seul, la nuit venue. La rumeur faisait état de monstres avec des peaux de loup, des yeux luisants et marchant comme des humains, les "galipotes". Les descriptions variaient car on ne les avait vues que de loin, ceux qui les avaient approchés n'étaient jamais revenus pour le dire, on les avait retrouvés le lendemain, égorgé sur le bord du chemin.
Donc les plus courageux sortirent sur le chemin pour connaître la raison de ce vacarme. Ils aperçurent vers la planche de pierre une silhouette enveloppée dans un grand manteau leurs semblât-ils, avec un bâton de pèlerin qui venait dans leur direction.
- C'est peut-être une "galipote" dit le premier.
- C'est trop tôt dit un second les galipotes ne sortent que la nuit et il n'est pas encore complètement nuit.
- Va savoir dit un troisième avec la brume qui arrive, il doit faire sombre dans les grands bois d'où il vient.
- Rentrons dit un autre et éteignons les lumignons, si c'est une galipote, elle continuera son chemin.
Ils firent taire les chiens et rentrèrent avec eux dans les chaumières où ils éteignirent toutes les lampes à huile déjà allumées pour le souper. Au bout de quelques minutes des bruits de pas se firent entendre et des coups furent frappés à la première porte, puis aux autres, mais personne ne répondit, les loquets furent secoués, mais les portes étaient solidement verrouillées. Apres quelques instants d'indécision, la silhouette repris son chemin. Avant de disparaître dans le brouillard une voie caverneuse s'éleva.
-Bande de couard, je vous maudis tous, que le Malin vous détruise, vous et vos chaumières.
Tous les habitants du hameau étaient terrorisés.
-Qu'avons-nous fait se disaient-ils, ce n'était peut-être qu'un voyageur surpris par la nuit.
Le lendemain matin, le ciel était bas et la pluie commença à tomber. Ils apprirent par un charretier, qui allait au bois vers Cassard, qu'on avait retrouvé un pèlerin égorgé près du col. Personne n'osa dire qu'il s'agissait probablement de celui qui avait frappé à leur porte hier au soir.Cependant la pluie continuait à tomber sans arrêt, la terre était détrempée. Jamais de mémoire d'hommes, on avait vu autant d'eau. Le tonnerre et les éclairs étaient maintenant de la partie, certain commençaient à voir la les effets de la malédiction du pèlerin. Le cinquième jour en fin d'après-midi alors que la pluie n'avait pas cessé de tomber un grondement sourd se fit entendre, on aurait dit un tremblement de terre. Ce bruit semblait provenir du défilé ou s'engouffrait un ruisseau furieux, devenu maintenant un torrent.
- Des rochers ont dû se détacher dans les gorges dirent les vieux qui avaient déjà vu ça, il y a bien des années.
Le lendemain matin, la pluie tombait toujours au même rythme. Une harde de sangliers passa en courant sur le chemin, inquiets quelques habitants sortirent pour voir ce qui avait bien pu déranger ces animaux par un temps pareil. Ils avancèrent vers le ruisseau et découvrirent une grande mare boueuse dont le niveau avait déjà submergé la "planche de pierre” . Le défilé avait disparu remplacé par une montagne de terre. Un éboulement rocheux avait dû se produire et un glissement de terrain avait tout colmaté. Il y avait maintenant à la place des gorges un barrage naturel que l'eau remplissait rapidement. Les habitants venus constater les dégâts n'en croyaient pas leurs yeux. Ils évaluèrent la hauteur du barrage formé et leur angoisse se transforma en panique, ils venaient de réaliser qu'a la vitesse ou l'eau montait leurs maisons seraient noyées avant la fin de la journée suivante. Complètement affolés, ils revinrent au hameau pour informer les autres habitants du drame qui les attendaient. A cette nouvelle tout le monde se mit à crier.
-Il faut prendre des pioches et faire une tranché disaient ceux qui n'avaient pas encore vu les dégâts.
-Il n'y a rien à faire dirent les autres, la masse de terre est bien trop importante pour envisager d'y ouvrir une brèche, il faut abandonner les maisons.
-C'est la malédiction du voyageur qui se réalise criaient certains.
Quelques femmes se mirent à pleurer, des chiens sensibles à l'angoisse générale hurlèrent à la mort. Les anciens tentèrent de ramener un peu de calme, et réunirent tout le monde dans la grange du doyen. Il y avait dans cette assemblée une vingtaine d'adultes et huit enfants, au bout d'une longue discussion tous admirent qu'ils devaient partir au plus tôt. Quelqu'un proposa d'aller s'installer provisoirement en haut de la colline sur le plateau, dans les huttes abandonnées par deux familles de charbonniers qui avaient quitté le pays l'été précédent, ce que tous approuvèrent.On partira demain dit le doyen, d'ici là, il faudrait tout emballer, ustensiles de cuisine, vêtements, literie, provisions et charger le tout dans les chars disponibles. La pluie s'était arrêtée, mais le ciel était toujours aussi menaçant. On envoya en éclaireurs sur le plateau, trois hommes, parmi les plus costaux, car il y aurait probablement des réparations urgentes à faire sur les huttes et sur la voie d'accès. Ils partirent donc immédiatement avec un cheval et un tombereau dans lequel ils avaient mis quelques outils et plusieurs bottes de paille pour réparer les toits de chaume certainement en mauvais état. Ils prirent le chemin du col et bifurquèrent sur la gauche, à environ un kilomètre pour revenir sur le plateau, là où ils savaient trouver les huttes, le sentier n'était pas en trop mauvais état, ils comblèrent quelques ornières et purent arriver sans trop de difficultés jusqu'aux huttes. Il y en avait six, quatre petites et deux grandes, les grandes devaient servir d'entrepôts car il y avait encore des morceaux de charbon de bois qui traînaient un peu partout. Ces huttes, de forme circulaire, étaient construites avec des rondins de bois et une toiture de chaume. La porte était faite avec de petites lattes assemblées avec des liens de genets et il n'y avait pas de fenêtres. Une seule des petites huttes avait un foyer surmonté d'une cheminée, construite avec des pierres et de l'argile. L'état des toits de chaume était satisfaisant sauf pour la plus grande ou le vent avait arraché une partie du chaume sans toutefois détériorer la charpente. Deux hommes se mirent à la réparation du toit endommagé avec la paille qu'ils avaient amenée, le troisième se chargea du nettoyage de l'ensemble. Vers midi les huttes é taient utilisables, mais le travail n'était pas terminé pour autant, il fallait maintenant construire un enclos pour rassembler les bêtes. A proximité des huttes il y avait une petite clairière, il suffisait de la clore avec une barrière. De l'autre coté de cette clairière il y avait une futée de jeunes pins qui allaient fournir le bois pour la clôture, ils se mirent donc à couper les troncs pour faire des piquets et construire la barrière.
Vers le début de l'après-midi, un convoi de quatre chars chargés de foin arriva. Après avoir emballé une partie du matériel, pendant la matinée, les hommes avaient laissé aux femmes le soin de s'occuper du reste et s'étaient mis à vider les granges, il fallait penser à l’hiver. Tout le foin ne pourrait peut-être pas être sauvé, mais il fallait en emmener le maximum pour ne pas avoir à vendre trop de vaches avant l’hiver. Les trois bûcherons abandonnèrent provisoirement leur ouvrage pour aider les arrivants à décharger les chars. Ils choisirent un espace dégagé, à proximité des huttes et abrité du vent par un rideau d'arbres, pour élever les meules de foin. Ils pensaient mettre au moins dix chars par meule et pour aller plus vite ils en commencèrent deux, en déchargeant deux chars sur la même meule. Les chars vides ils repartirent rapidement pour un nouveau voyage tandis que les trois bûcherons reprirent leur construction. Au hameau les femmes aideraient au chargement du foin. Avant de commencer ils mirent quelques planches au fond des chars car les bûcherons comptaient faire un abri pour les animaux dans un coin du parc. A la fin de la journée, ils avaient réussi à faire quatre voyages, les deux premières meules étaient presque finies. Deux grandes bâches en toile huilée furent posées sur les meules inachevées, au cas où la pluie reprendrait. Les bûcherons avaient terminés le parc, ils construiraient l'abri le lendemain, car maintenant la nuit arrivait, il fallait rentrer au hameau.
Apres le souper, tout le monde se réunis à nouveau dans la grange pour faire le point et organiser le déménagement. Les bûcherons indiquèrent que deux grandes huttes et quatre petites étaient utilisables. On attribua une petite hutte à chaque famille, celle qui possédait le foyer revint au couple sans enfants car on ne pourrait y loger qu'une seule paillasse du fait qu'elle servirait en plus a la préparation des repas en commun. L'une des grandes huttes serait transformée en magasin, on y rangerait les provisions et le grain et la dernière abriterait les veaux, et les jeunes agneaux. La construction d'abris pour le bétail fut remise a plus tard. Il fallait réserver la journée du lendemain pour évacuer tout ce qui pourrait l'être, car il était à craindre que le surlendemain le hameau ne soit inondé, même si l'arrêt de la pluie laissait quelques heures de répits.En plus des quatre attelages déjà affectés au transport du foin et de la paille, le hameau disposait de deux chevaux et d'une paire de vache supplémentaire dont le dressage même imparfait pourrait suffire pour tirer un tombereau. On disposait donc de trois attelages de ce type qui furent affectés au transport du matériel et des provisions, les trois bûcherons les prendraient en charge. Le reste des habitants serait réparti entre le hameau et le plateau.Après ces longues discutions tout le monde regagna sa maison pour prendre un peu de repos, car la journée du lendemain serait longue et dure.
Avant l'aube, tous étaient debout et le chargement des chars commença. Au petit jour le premier convoi se mit en route pour le plateau. Il y eut toute la journée un vas et viens permanent entre le hameau et le plateau. A la tombée de la nuit le matériel et les provisions étaient en lieux surs, il ne restait plus que deux ou trois chars de foins et autant de paille dans les granges. Le niveau de l'eau n'était plus qu'à quelques mètres de la maison en contrebas. Personne ne voulu quitter le hameau à cette heure tous prirent le risque de se réveiller les pieds dans l'eau. Ils préparèrent tout en vue d'un départ rapide et organisèrent des tours de garde au cas où l'eau monterait plus vite que prévu, puis ceux qui n'étaient pas de surveillance rentrèrent chez eux pour passer la dernière nuit dans leur maison.
La nuit se passa sans alerte, mais a l'aube quand ils se réveillèrent, l'eau arrivait au seuil de la maison du bas. On libéra les animaux, les six veaux furent installés dans deux tombereaux et les agneaux dans l'autre, les poules étaient parties la veille dans de grandes cages.Tout le convoi se mit en marche pour la dernière fois, deux femmes prirent la tête pour guider le troupeau, d'autres suivaient sur les cotés pour éviter que les animaux ne s'égarent. Les tombereaux, puis les chars de foin et de paille, fermaient la marche. Les deux anciens restèrent les derniers, ils avaient voulu fermer la porte de chaque chaumière et en conserver la clef, geste bien symbolique, car plus personne désormais ne franchirait le seuil de ces maisons témoins de leurs joies et de leurs peines pendant de si longues années. Ils se mirent enfin en route s'appuyant sur leurs bâtons noueux.Au premier virage, ils se retournèrent, de là, ils surplombaient le hameau, déjà l'eau entourait la maison du bas et plus loin la nappe s'étalait jusque dans les bois, de l'autre coté du ruisseau. Quelques arbres avaient presque entièrement disparu, seule la crête restait encore visible et faisait des taches sombres incongrues sur ce miroir argenté que faisait la surface de l'eau dans la lumière blafarde de ce jour naissant. Ils se remirent en route en pressant le pas pour rejoindre la colonne.Quand ils arrivèrent près des huttes, le soleil allait se lever, le ciel était clair la journée s'annonçait radieuse, ils allaient pouvoir s'installer dans de meilleures conditions.
L'installation dura toute la semaine pendant laquelle quelques amis des hameaux voisins vinrent leur prêter main-forte. Mais c'était une installation provisoire. L'hiver n'était plus très loin et il leur faudrait construire deux ou trois étables avant la neige. Ils avaient déjà contacté deux charpentiers car ils ne pouvaient construire qu'en rondin, la pierre se serait pour plus tard. Il faudrait vendre quelques bêtes pour payer les ouvriers, mais, si la neige n'arrivait pas trop tôt ils devraient y arriver.De l'extrémité de la clairière où ils s'étaient installés on avait une vue magnifique sur le nouveau lac qui venait de naître. Mais tous savaient que leurs maisons et une partie de leurs champs se trouvaient maintenant sous dix mètres d'eau et seuls les étrangers pouvaient apprécier le paysage.
A la toussaints, les trois granges étaient construites. Dans la région, tout le monde était au courant de leurs malheurs et admirait leur courage pour avoir sauvé presque tous leurs biens et reconstruis leur hameau en si peu de temps, aussi les avait-on surnommés les Sauvetouts.Le curé de St Anthéme leur fit savoir qu'il était prêt à venir bénir leur nouveau hameau le dimanche suivant et leur demandait quel nom ils voulaient lui donner. Apres s'être concerté, ils répondirent que puisqu'on les avait baptisés les Sauvetouts le hameau s'appellerait la Sauvetat. Sur ce mémé qui gardait un oeil sur le troupeau dont nous avions la garde, fit intervenir "Follette", la petite chienne, pour ramener deux vaches parties folâtrer dans le champ du voisin. Le charme était rompu, et une question me vint aux lèvres.
- Il n'y a plus de lac maintenant dis-je.
- Non bien sur me répondit mémé, il a dû rester bien des années sans doute, mais ce n'était qu'un barrage de terre, il a dû se fissurer et un beau jour l'eau a tout emporté.
Il était maintenant l'heure de rentrer, je n'avais pas vu le temps passer.
 
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